Aéroports de Paris : l’Etat actionnaire paré au décollage



Anne Brunet


Pour financer le Fonds pour l’innovation de rupture, l’Etat s’apprête à céder ses participations au capital du groupe Aéroports de Paris. Une décision somme toute logique, la gestion de l’Etat touchant à ses limites en termes opérationnels alors que le secteur aéroportuaire vit une révolution. Pour L’Etat désormais, l’outil réglementaire est bien plus affûté que celui de la présence dans l’actionnariat, même majoritaire.



L’année 2018 sera celle des actes. Après les promesses électorales et les premiers pas de l’équipe Macron en 2017, Bruno Le Maire et son ministère de l’Economie et des Finances vont passer à la vitesse supérieure dans les mois qui viennent. Voire les semaines. En effet, l’un des projets majeurs du quinquennat est en train de prendre forme : le Fonds pour l’innovation de rupture, qui doit être doté d’une enveloppe rondelette de dix milliards d’euros. Annoncé dès l’été dernier par le pensionnaire de Bercy Bruno Le Maire, ce Fonds est – dans la vision du chef de l’Etat – vecteur d’innovation, de compétitivité pour les entreprises françaises et donc de créations d’emplois. Emmanuel Macron veut réussir là où son prédécesseur a échoué : il veut gagner la bataille contre le chômage. Toutes ses actions convergent vers cet objectif, en mettant l’entreprise au centre de sa stratégie.
 
Des cessions d’actions pour financer le Fonds
 
Une stratégie qui ne se résume pas à renflouer les caisses de l’Etat, mais à mieux utiliser les ressources existantes. « Je ne cède pas des actifs pour renflouer les caisses de l’Etat, expliquait en 2017 Bruno Le Maire. L’objectif est de trouver des financements pour l’innovation, car c’est la clé de demain. Nous mettrons dix milliards d’euros pour financer l’innovation et, en particulier, l’innovation de rupture. J’assume le choix politique de transformation radicale de l’économie française où l’argent du contribuable est mieux placé dans le financement de l’innovation plutôt que dans la rente de certaines entreprises publiques. » Plusieurs noms circulent dès l’été dernier, parmi les 81 entreprises dans lesquelles l’Etat détient des parts : Engie, Renault, la Française des Jeux, Aéroports de Paris, Thalès… En quelques mois, tout se met en place.
 
D’abord en 2017, avec deux cessions de participations. D’abord chez Engie en septembre, où l’APE (Agence des participations de l’Etat, dirigée par l’ex-président de la Poste Martin Vial, qui gère le portefeuille d’actions de l’Etat) cède 4,53% du capital pour 1,53 milliard d’euros. Suit Renault, avec une cession partielle là-aussi, à hauteur de 1,21 milliard d’euros. L’objectif de Bercy est simple : ne pas toucher aux participations de l’Etat dans les entreprises régaliennes comme Areva pour le nucléaire, et céder tout ou partie de ses participations dans des entreprises non stratégiques, en misant en priorité sur les entreprises dans lesquelles les compétences opérationnelles de l’Etat sont nulles – ou presque. Car l’Etat, aussi désireux de bien faire qu’il peut l’être, ne peut ou ne sait pas assumer des compétences aussi diverses que l’organisation de jeux de hasard ou la gestion de boutiques dans le duty-free de l’un des plus grands aéroports d’Europe. Son rôle de silent partner a ses limites. Le ministre n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins : « L’Etat peut être beaucoup plus efficace en régulant l’activité plutôt qu’en étant présent au capital, considère le ministre. Que l’Etat s’occupe des jeux de hasard, ça ne me paraît pas son rôle. Qu’il s’occupe des boutiques ou des grands hôtels à Roissy-Charles-de-Gaulle ou à Orly, ça ne me paraît pas son rôle non plus. » Les choses sont dites.
 
Après les cessions, les privatisations
 
Les deux premières opérations se sont montrées fructueuses pour l’Etat : « obtenues dans des conditions patrimoniales favorables », dans le jargon du gouvernement. Deux opérations qui vont donc en appeler d’autres en 2018.
 
Dès janvier dernier, Bercy annonce la création officielle du Fonds pour l’innovation de rupture, constitué au sein de Bpifrance. « Nous aurons à notre disposition dix milliards d’euros qui constituent la dotation initiale du fonds et dont les dividendes serviront à financer l'innovation de rupture, a ainsi précisé le ministre. A terme, la dotation du fonds reposera exclusivement sur des cessions d’actifs et sur des produits de privatisation. Les cessions d’actifs comme les privatisations seront autorisées par la loi Pacte. » Immédiatement, deux nouveaux noms sont mis en avant, en toute logique : la Française des Jeux et les Aéroports de Paris, deux entreprises concernées par la présentation début juin de la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises). Ce texte doit en effet permettre à l’Etat de se désengager du capital de ces deux sociétés, les seuils légaux actuels ne pouvant être franchis que par l’intermédiaire d’une nouvelle loi.
 
L’Etat actionnaire se mue donc aujourd’hui en Etat stratège. Et c’est le bon moment : la conjoncture économique est propice à ces opérations financières de grande ampleur et surtout, elles répondent à une exigence d’efficacité opérationnelle. Les projections sont claires : le transport aérien va connaître une forte croissance dans les vingt ans qui viennent, les structures aéroportuaires ont aujourd’hui, plus que jamais, besoin d’actionnaires connaissant le secteur. Le contexte est favorable, à double titre : l’Etat français est désireux de vendre pour financer l’innovation, et il n’est plus en mesure d’être un acteur performant dans la gestion des trois aéroports parisiens, Roissy-Charles de Gaulle, Le Bourget et Orly. Des aéroports qui ont besoin, qui plus est, d’une profonde cure de jouvence pour restaurer une image de marque peu reluisante auprès des voyageurs, français comme étrangers. Une cure de jouvence qui a commencé et qui demande des investissements à grande échelle.
 
Grandes manœuvres chez ADP
 
Au sein d’ADP, les enjeux des dix prochaines années sont sur toutes les lèvres. Son PDG depuis 2012, le haut fonctionnaire Augustin de Romanet, a lancé en 2016 le plan Connect 2020, constitué de toute une série de grands aménagements en vue des Jeux olympiques de 2024 et de l’Exposition universelle de 2025. D’ici 2020, 4,6 milliards d’euros seront consacrés à la rénovation des deux grands aéroports grand public, une liaison directe entre Roissy et la gare de l’Est sera mise en service, pour connecter plus facilement cet aéroport avec la capitale. « Notre objectif est d’attirer davantage de trafic à Paris, premier hub européen pour le trafic intercontinental, explique le PDG, dans une interview accordée au site d’informations Voyages d’affaires. Une équipe dédiée au Route Development s’y attèle et mène une véritable politique pour promouvoir la destination Paris, en particulier sur le long-courrier et la correspondance. Je note au passage que l’Etat a récemment octroyé des droits de trafic supplémentaires à la Chine. »
 
Si l’Etat cède ses parts dans ADP en laissant la gestion opérationnelle des deux grands aéroports franciliens à un opérateur privé, cela ne signifiera pas qu’il se désengagera totalement de la question aéroportuaire. D’abord parce qu’il reste un acteur important pour l’attractivité de la France à l’international, ensuite parce qu’il reste le garant de certaines taches régaliennes, comme le contrôle aux frontières. Il va de soi que les très contraignantes réglementations aéroportuaires ne changeront pas, et l’Etat pourra être tout à son rôle de contrôle de la bonne exécution de la mission confiée : en plus du bâton réglementaire, l’Etat disposera de la carotte des contrats de régulation, prévus pour être revus tous les cinq ans.
 
Les administrations en charge de l’aviation civile ne verront pas non plus leur rôle évolué : la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) siègera par exemple toujours au conseil d’administration d’ADP. Elle est actuellement représentée par son directeur général Patrick Gandil. Selon ce dernier, « un aéroport est la plateforme multimodale par excellence. Pour que cette organisation fonctionne, il faut un nombre incalculable de professions. C’est aujourd’hui l’un des grands endroits de concentration de talents sur la planète. Ici à la DGAC, j’ai la chance d’avoir travaillé sur des dossiers majeurs comme la filière hélicoptère, les moteurs ou Airbus. Je me suis toujours beaucoup impliqué pour l’aviation générale et l’EASA (Agence européenne pour la sécurité aérienne) est en train de changer, expliquait le représentant de l’Etat en 2014. La licence IFR privé est un succès. Dans notre domaine, le changement de statut (ndlr : de la gestion publique à la gestion privée) s’est passé dans d’excellentes conditions. »
 
Quatre ans plus tard, le prochain désengagement de l’Etat de la gestion opérationnelle de Roissy ou d’Orly semble donc une étape très rationnelle, à la fois pour l’Etat, qui conservera ses moyens de contrôle tout en dégageant des ressources financières, pour le groupe ADP et pour le futur repreneur.

Anne Brunet