Le renforcement de l’Union Européenne



Claude MARTIN


En 2015, le Réseau des Pays du Groupe de Visegrad a choisi comme thème de conférence annuelle, le renforcement de l'Union Européenne. Les communications publiées soulignent le besoin de rénovation de l'espace européen. Elles interrogent la situation économique et entrepreneuriale, celle des territoires et des politiques publiques. Elles posent la question de l’avenir du système universitaire européen. On trouvera, dans les lignes suivantes, un condensé de ces interventions.



Entreprises. Nouveaux risques et voies d’avenir  

Le premier thème porte sur les entreprises européennes, leurs forces, leurs faiblesses, les nouveaux risques devant lesquels elles se trouvent et les réponses qu'elles donnent.
 
La crise économique pose la question de la gouvernance des entreprises dans un contexte difficile.

La capacité d'innovation sur laquelle reposent la plupart des stratégies concurrentielles est affaiblie dans la mesure où l'insécurité de l’emploi affecte les motivations [1].

La délocalisation intra européenne ou vers des pays tiers semble moins fréquente. La prise en compte de tous les facteurs de délocalisation, y compris les coûts de transport et de production peut très bien conduire à une relocalisation [2] .

L'origine des produits disparaît dans la mondialisation des marques, ce qui oblige les entreprises soucieuses de leur image, à prendre en considération les attitudes et comportements des acheteurs  [3].

L’acheteur est de plus en plus sensible à l’écologie et au développement durable [4]. L'accès généralisé à Internet lui donne un pouvoir dont les commerciaux doivent tenir compte.
 
Aux incertitudes et risques qui affectent le devenir des entreprises, certaines réponses sont avancées.

La prise en compte du client dans le processus d'innovation [5] et plus largement celle des différences culturelles  [6] est essentielle.

L'entreprenariat se développe, sous différentes formes, suivant la culture du pays. En Roumanie, on souligne l'importance de l'orientation entrepreneuriale et de la prise de risque dans la recherche de financement [7]. La Pologne privilégie le modèle de l'entreprise familiale  [8].

La recherche de marchés émergents est une stratégie accessible aux entreprises françaises de petite dimension capables de réussir en ciblant des marchés difficiles mais prometteurs [9].
 
Le partenariat public-privé que l’on rencontre en Italie, est une modalité par laquelle une entreprise répond à l’appel de prestataires privés pour financer un investissement contribuant au service public  [10]. La responsabilité sociale de l’entreprise se développe sous l'influence de la crise économique mondiale. Elle est encouragée par de nombreux états et par le consommateur européen  [11]  [12] .
 
Les  politiques territoriales au service du projet européen

Le second thème est consacré aux politiques publiques aux niveaux communautaire, national et régional.
 
Au niveau communautaire, les politiques analysées concernent, l'emploi, la fiscalité, l'urbanisation et l'immigration.

La flexicurité, doctrine européenne en matière d’emploi, rencontre des succès inégaux selon les pays : ceux d'Europe du Nord où le taux de chômage est très bas et ceux d'Europe du Sud où il atteint des niveaux très élevés.

L’harmonisation des politiques fiscales est en attente, pour des raisons de concurrence entre Etats  [13].

L’UE a fixé des objectifs en matière de protection de l’environnement urbain, mais la situation est difficile pour les pays au début de leur parcours  [14].

Le processus d’intégration des travailleurs étrangers doit être revu dans le sens d’une prise en compte de facteurs qui ne sont pas seulement économiques  [15].
 
Les politiques des états-membres s'inscrivent dans une volonté de développement économique.

Sur le marché du travail, l’objectif est de se rapprocher des normes européennes : c’est le cas de l’Italie qui a décidé de simplifier sa législation en réduisant le nombre de contrats  [16].
En France, de nouveaux cadres territoriaux en faveur de la régionalisation se mettent en place  [17].

Enfin, permettre aux entreprises de retrouver une croissance nécessite un large éventail de soutiens budgétaires, monétaires et structurels. On note, en particulier le rôle des infrastructures de transport dans l’atténuation des disparités régionales. C'est le cas de la Pologne et de la Slovaquie dont l’histoire est en partie commune  [18] [19].
 
Les collectivités territoriales s'efforcent de développer leur attractivité.

Fortement dépendantes des influences culturelles et de l'histoire locale, elles n'échappent pas aux problèmes de cohésion sociale et d'urbanisation.

En Italie, l’appui des Chambres de Commerce est déterminant  [20] sous condition que les aides contribuent à satisfaire l'accompagnement social, le logement, l'emploi, la santé, la culture ou le tourisme  [21] .

La question se pose d’une autre façon en Pologne où l’on remet en cause la répartition des aides par les autorités régionales  [22].

En Roumanie  [23], un facteur qui a fortement influencé la mise en place du développement régional, fut la cohabitation de populations roumaines avec d'autres groupes ethniques  [24].
 
En matière de politique urbaine, la modernité est fréquemment associée à la surpopulation des grandes villes et à la dépopulation des territoires périphériques et des zones rurales. En Europe centrale, les dernières décennies ont été marquées par la migration des jeunes et par l’exode industriel. En Italie, la récupération des centres historiques est l’un des thèmes qui mérite l’attention des gouvernants  [25]. Les villes sont aussi des lieux d'affaires, d'innovation et de culture, exprimés par des classements à l'échelle mondiale. L’avenir des grandes villes se joue à travers leur capacité à transformer leurs relations avec l’environnement régional  [26].
 
Le système universitaire européen doit être transformé

L'idéal de culture et de savoir qui a caractérisé l'Europe du 19° et 20° siècles a disparu. L'Europe d'aujourd'hui ne s'impose plus comme un ensemble de valeurs de la vie citoyenne. Après avoir connu des avancées importantes, l'Union européenne est remise en cause. Le projet originel de l’Université n’avance pas au même rythme que la société globale. Chaque État adopte ses propres programmes d’études, ses dispositions en termes de validation de diplômes et de droits d’inscriptions  [27]
 
La chute du Mur de Berlin a permis aux universités d'Europe de l'Est de s'ouvrir sur leur environnement et de rentrer pleinement dans la communauté européenne et mondiale de la connaissance  [28]. Dans le même temps, le dogme du néolibéralisme s'est imposé, opposant le secteur public traditionnellement en position de monopole au secteur privé soumis à la concurrence, au marketing et à la privatisation  [29].

Les classements au niveau mondial font peu de place aux universités européennes. Des secteurs d'enseignement tels que les sciences sociales et humaines sont sous-représentés. La domination exercée par la langue anglaise tend à exclure les autres langues  [30] [31].
L’université s’efforce de promouvoir la compétence  [32] l'innovation et la qualité, mais le chômage des jeunes diplômés existe dans de nombreux pays  [33].
 
Le système universitaire ne répond plus aux attentes des  générations  [34].  Certes, Erasmus permet aux étudiants des pays membres d'acquérir une expérience d´apprentissage à l´étranger, mais le programme souffre d’une asymétrie des échanges entre mobilité entrante et mobilité sortante  [35] [36]. Même s’il met les étudiants européens en contact avec les réalités des pays membres, les détache de leur pays et de leur université, il ne produit pas immédiatement une orientation pro-européenne [37].
 
Les universités européennes ont contribué à la construction de l’idéal européen depuis des siècles. Avec les révolutions industrielles et les avancées scientifiques et techniques, elles ont élargi leurs domaines d'action. Cependant, le transfert des connaissances vers la pratique économique, inscrit dans la stratégie de Lisbonne et l’accord de Bologne, est un défi difficile à relever  [38]. Le modèle de Humboldt est dépassé.
 
Au cœur des changements du nouveau contexte, les universités n’ont d’autre choix que de repenser leur place, leurs missions, leurs stratégies ; faute de quoi, à terme, elles courent le risquent de n’être plus adaptées et devenir un outil obsolète.
 
                       Claude MARTIN 
Pr. Emérite, Université Pierre Mendès France Grenoble,
​Président du Réseau des Pays du Groupe de Vysegrad 
 

Pour citer cet article :  Martin, C., 2016, Le renforcement de l’Union Européenne, 27 janvier, RMS Magazine.

  
 

 [1] Faranak Farzaneh, André Boyer. L’insécurité de l’emploi et la motivation des employés à innover
 [2] Urszula Panicz. Motives of economic activity relocation
 [3] Magdalena Grębosz, Jean-Marc Pointet, Jacek Otto. Le renforcement de l’image des marques sur le marché européen. Les recherches d’authenticité et d’origine
 [4] Pavol Kita, Ladislav Lapsansky, Ferdinand Dano, Pavol Konstiak, Jaroslav Kita. Transformation du marketing et du processus de vente en lien avec les changements                de comportement du client slovaque dans un contexte de développement durable.
[5] Ghislaine Pellat, Catherine Peyroux. Intégration du client au processus d’innovation : la mobilisation d’un réseau de communauté dans une démarche de co-création.
[6] Dominique Estragnat. L’interculturalité en entreprises : entre savoir-faire, savoir-être  et traditions culturelles. La relation à autrui au cœur du management. Approche théorique
[7] Adriana Zait, Patricea Elena Bertea, Andreia Gabriela Andrei. Present issues in entrepreneurship – a synthesis of antecedents and consequences at individual, organizational and societal level
[8] Łukasz Sułkowski, Andrzej Marjański. Polish small and medium-sized family businesses – trajectories of success
[9] Huiyi Gao, Clara Missoffe. Internationalisation par la mobilisation de réseaux et de partenariats : le cas des « Born-Global » françaises dans les marchés émergents
[10] Alessia Melasecche Germini, Matteo Martini. Travailler ensemble, le partenariat public –privé : L’expérience italienne des fonds d’amorçages Ingenium
[11] Cosmina Paula Bradu, Adriana Zait. Are consumers willing to support social responsible companies? Insights from an Eastern European country
[12] Silvia Bonifazi, Mauro Quirini. Corporate social responsibility to renovate the enterprise
[13] Mária Uramová, Žaneta Lacová, Marián Šuplata, Kristína Hašuľová. Quelles conséquences de l´harmonisation des assiettes pour l´impôt sur les sociétés en Europe?
[14] Silvia Lanari, Mario G. R. Pagliacci, Stefano Tirinzi. The management of urban waste: between emergency and progress 
[15] Małgorzata Patok. Economic Migration in the Context of the Internal Market of the EU: The Processes of Adaptation and Integration of Polish Workers in France
[16] Davide Gallotti. Italian labour market: towards the maximum possible harmonization of legislation with European standards
[17] Geneviève Duché. Troisième temps de la décentralisation en France : le territoire dans tous ses E/états.
[18] Kamila Borseková, Mariusz E. Sokołowicz. Rail transport infrastructure in Slovakia and Poland – does it help for restoring trans-border territorial structures in central and Eastern Europe?
[19] Katarína Petríková, Aleksandra Nowakowska. Road transport infrastructure in Slovakia and Poland. How to strengthen territorial cohesion
[20] Francesca Martini. Sirni "Services réels intégrés pour les nouveaux entrepreneurs". Un projet réussi de la Chambre de Commerce de Rieti
[21] Stefano Tirinzi, Marco Paulucci, Mario G.R. Pagliacci. The policy of local public services in Italy: preservation and modernization
[22] Monika Słupińska. Regional support for the competitiveness and innovation in small and medium-sized enterprises in the Lódzkie voivodeship as assessed by entrepreneurs
[23] Monica Boldea, Iulia Para. Optimizing the administrative-territorial organization of Romania - a regional development objective
[24] Plus tard, lorsque le modèle soviétique fut adopté, on a subordonné les régions agricoles aux grands centres urbains, puis dans les années 70, la tendance est revenue aux structures administratives d'avant-guerre. La configuration régionale actuelle suit les tendances européennes générales, avec un système administratif basé sur huit régions de développement fondées sur les provinces historiques
[25] Mario G.R. Pagliacci. Récupérer et revitaliser les centres historiques de l’Ombrie
[26] Aleksandra Jewtuchowicz. La Métropole de Lodz. Entre image et réalité
[27] Valeria Rinaldi. Education systems in Europe: an harmonization on the way to strengthen knowledge transfer
[28] Zofia Mikołajczyk, Anna Tarabasz. The role of the university in student’s education   and knowledge building. Case of the Management Faculty at the University of Lodz
[29] Veronika Kitová Mazalánová,  Pavol Kita, Július Matulčík, Jan  Strelingers. Policy of privatization in the context of neoliberal changes
[30] Muriel Bourdon. Choisir sa mobilité : vers un nouveau classement européen des universités
[31] Łukasz Sułkowski. La bureaucratisation des systèmes de qualité dans l’enseignement supérieur polonais. Etudes culturelles
[32] Eric Giraudin. Prendre "le virage compétences" à l'aide d'un portfolio électronique d'insertion professionnelle : un exemple de recherche appliquée à l’IUT2 Grenoble
[33] Tawfiq Rkibi. Le chômage des jeunes diplômés: Um problème de compétitivité économique ou une défaillance du système universitaire ?
[34] Daniela Stanciu, Liana Ştefan. De la génération X à la génération Z : échec de l’enseignement ou retour aux valeurs ?
[35] Magdaléna Přívarová, Ján Toma. La mobilité étudiante Erasmus : problèmes et perspectives
[36] Joana Motta, Belén Rando. Outgoing study mobility of tertiary students in European countries
[37] Ewa Bogalska-Martin, Ghislaine Bédel. A la marge du succès d’Erasmus. Quel projet pour l’Europe des citoyens ?
[38] Patricia David, Sandra Fagbohoun. L’Université française dans l’Université européenne : Entre l’institution de la transmission des savoirs et la recherche de l’efficacité économique

 

Claude MARTIN