Quel avenir pour le travail humain à l'heure de la révolution numérique?



Alain Bloch


Disons-le sans détour : il y a deux ans encore un voyage dans la Silicon Valley était enthousiasmant par le monde d’opportunités qu’il faisait découvrir. En 2015, il est brusquement devenu anxiogène, même pour les plus jeunes et les mieux préparés.



Philippe Escande  et Sandrine Cassini  dans leur livre « Bienvenue dans le capitalisme 3.0 » partagent le même constat : « Quand nous avons commencé notre enquête fin 2013, nombre de nos interlocuteurs ne voulaient voir dans le numérique qu’une formidable opportunité de développement. Très vite le discours a changé… La panique saisit progressivement tous les acteurs économiques. ».

Et dans ses savoureuses et très documentées « Lettres à mes parents sur le monde de demain », Dominique Nora dresse effectivement l’impressionnante liste des questions aujourd’hui  sans réponse : « Dans ce monde où l’on pourra produire toujours plus de richesses avec de moins en moins de travail se posera de plus en plus crûment la question de la subsistance de la masse croissante des laissés-pour-compte. Inventera-t-on de nouveaux types d’emploi ? Développera-t-on le bénévolat ? Devra-t-on instituer une sorte de salaire minimum universel ? Notre représentation du travail en sera-t-elle bouleversée ? ». Et nous ajoutons : que deviendrons nos mécanismes de solidarités intergénérationnelles ? Que deviendra, singulièrement en Europe, la protection sociale toute entière ?
 

La révolution numérique est tout bonnement en train d’automatiser le travail intellectuel


On sait que pour nombre de scientifiques au premier rang desquels Erik Brynjolfsson du prestigieux MIT, la révolution numérique est tout bonnement en train d’automatiser le travail intellectuel, après que les précédentes révolutions industrielles aient poursuivi le projet d’automatiser le travail manuel. Selon deux chercheurs de l’Université d’Oxford, Carl Benedikt Frey  et Michael A. Osborne, près de la moitié des emplois de services que nous connaissons aujourd’hui serait concernée. Et d’un coup les dirigeants d’entreprise prennent conscience que tous les secteurs seront touchés, de la finance à la santé en passant par l’éducation et l’énergie, jusqu’à la construction et même l’agriculture.
 

« L’idée que la mort n’est qu’un problème à résoudre va s’imposer » (Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo et CEO de DNAVision)


Simultanément c’est le chirurgien et entrepreneur Laurent Alexandre, diplômé d’HEC Paris, fondateur de Doctissimo et CEO de DNAVision, qui nous explique dans son livre « La mort de la mort », comme le font d’autres scientifiques nord-américains de l’Université de Stanford, que « la génomique…la nano-médecine réparatrice, l’hybridation homme-machine…vont bouleverser notre rapport au monde » et rendent probable le doublement de l’espérance de vie au cours de ce siècle ! Pour lui comme pour ses homologues californiens « l’idée que la mort n’est qu’un problème à résoudre va s’imposer ». Prophétique mais lucide, il conclut : « La question n’est plus de savoir si la bataille contre la mort sera victorieuse ou non, mais quels seront les dégâts collatéraux de cette victoire sur la définition même de notre humanité ».

De fait un rapide survol de la littérature des 18 derniers mois sur ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « révolution numérique » donne le tournis : de « La société automatique » à « La mort de la mort » en passant par « La vie algorithmique », « The second machine age », « Demain les posthumains », « Exponential organizations » ou même le succès planétaire du « Capital au XXIème siècle », l’évolution du monde telle qu’elle est interrogée par ces contributions à succès laisse à tout le moins songeur, pour ne pas dire perplexe. Le rêve du progrès technologique serait-il en train de virer au cauchemar ? Ces entrepreneurs qui changent le monde avec un optimisme insolent sont-ils en train de devenir de nouveaux apprentis sorciers ?
 

De quelle humanité parlons-nous ?


Si, pour faire court, les progrès conjugués de l’informatique, des réseaux, de l’intelligence artificielle, de la robotique sans oublier les biotechnologies (le choc suivant ?), bref la grande convergence « NBIC » (pour Nanotechnologies, Biologie, Informatique et sciences Cognitives) qui se profile rend d’un côté l’homme de plus en plus oisif, par la raréfaction du travail, et de l’autre de moins en moins mortel, par l’allongement de la durée de la vie, de quelle humanité parlons-nous ?

Dans notre ouvrage « Homo numericus au travail », qui vient de paraître aux éditions Economica, Pierre Beretti  et moi essayons d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions ... dérangeantes !



Alain Bloch, Professor CNAM (H), Director HEC Entrepreneurs, Founding Partner Bloch Dumonvillier & Cie, Vice-Chairman Léon Grosse SA 


Pour citer cet article : Bloch, A., 2016, Quel avenir pour le travail humain à l'heure de la révolution numérique?, 23 février, RMS Magazine. 


 


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