Rapport du Sénat sur les autoroutes : comprendre le modèle de la concession (et arrêter de croire n’importe quoi)



François Lacombe




Partenaires historiques du développement du réseau autoroutier en France depuis 1956, les concessions autoroutières font l’objet d’attaques incessantes depuis 2006, notamment, mais pas exclusivement, par les extrêmes de tous bords. Le tout dernier rapport du Sénat à ce sujet fait d’ailleurs pièce à quelques-unes des approximations les plus criantes. Une mise au point s’impose donc sur le rôle des concessions, pour une approche objective d’un sujet manifestement sensible.
 
Sans les concessions, point d’autoroute !

Si les premières études concernant les autoroutes datent d’avant la Seconde Guerre Mondiale, ce n’est qu’à la fin du conflit que naissent véritablement les premiers tronçons en France. Mais très rapidement, l’État comprend qu’il n’a pas les moyens de développer, directement voire seul, le réseau autoroutier. En 1955 est donc votée la loi 55-435 introduisant le régime de la concession et permettant le recours aux péages pour financer les autoroutes concernées, comme ce fut le cas dès le XIXème siècle pour le développement du chemin de fer. Entre 1956 et 1963, cinq sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes (SEMCA)(1) sont créées pour une durée prévue de 35 ans. Personne n’y trouve alors rien à redire. Et quand, en 1970, l’État fait appel à quatre sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) privées, là encore personne ne s’émeut. Ce n’est qu’en 2006, avec ce que beaucoup ont nommé à tort la « privatisation des autoroutes », que des voix se sont élevées pour dénoncer ce que certains ont assimilé à une vente à vil prix d’« un bijou de famille, un élément du patrimoine qu’il ne fallait pas brader ». À tort, manifestement, puisqu’il ne s’agissait que de la poursuite du programme autoroutier initié cinquante ans plus tôt, et que l’État n’a fait que déléguer la gestion des autoroutes tout en restant le propriétaire du réseau.

Près de quinze ans plus tard, à l’ère des chaînes d’infos en continu et des déclarations intempestives, chacun y va encore de sa critique en « surfant » sur cet abus initial de langage, sans en connaître véritablement les tenants et les aboutissants. Pour brosser les électeurs dans le sens du poil, des politiciens de tous bords tiennent un discours démagogique – voire populiste – plutôt que de reconnaître la concession comme un système qui préserve l’intérêt général et bénéficie à la collectivité. Pourtant, c’est bien grâce aux SCA que la France est aujourd’hui dotée de l’un des réseaux autoroutiers les mieux équipés et les plus sûrs d’Europe, et même du monde.
 
De lourds investissements et un transfert de risques maximal

Sans les SCA donc, les autoroutes françaises ne seraient certainement pas en aussi bon état. Il faut dire que ce sont elles qui assument l’essentiel des risques dans le développement du réseau, et en premier lieu le risque financier. En effet, financer les infrastructures coûte très cher et, avant même de pouvoir être mise en service, la construction d’une autoroute nécessite un investissement conséquent. Cet investissement, ce sont les SCA qui le supportent, au prix d’un endettement massif durant les premières années. Ainsi, entre 2006 et 2014, pas moins de 14 milliards d’euros ont été investis par les SCA sur le réseau concédé (2), soit 1,8 milliard par an. Et sans que cela coûte le moindre centime au contribuable français, puisque ce sont les seuls usagers qui assurent la rémunération des concessionnaires, une partie, seulement, du ticket, étant consacrée à ce poste. De plus, en assurant la gestion des autoroutes, les SCA endossent tous les risques liés à l’exploitation du réseau, et notamment ce que les spécialistes nomment le « risque trafic ». Le prix initial des concessions à en effet été établi notamment au regard de prévision de trafics. Si le trafic réel constaté est inférieur aux prévisions, c’est autant de revenus en moins, et de manque à gagner pour les concessionnaires. Ainsi, avec la crise de 2008 qui a entrainé une baisse du trafic des poids lourds de 15 à 20%, les SCA ont perdu 8 milliards sur dix ans d’après une estimation de l’AFSA. Et l’on attend dans les mois qui viennent les conséquences de la crise du Covid, qui sont déjà avérées pour le trafic poids lourds.(3)
 
Un contrat gagnant-gagnant, surtout pour les contribuables et l’État

Bien sûr, les SCA ne travaillent pas bénévolement et elles se rémunèrent grâce aux péages. Mais avec un taux de rendement interne variant de 6,4% à 7,8% selon les concessions, d’après les estimations de l’Autorité de régulation des transports (ART) (4), ces sociétés ne sont pas ces monstres capitalistes que dépeignent tant de détracteurs.

Les autres gagnants du recours à la concession pour la gestion des autoroutes, ce sont les contribuables français. En effet, ce ne sont pas eux qui paient pour l’entretien et le développement du réseau, mais uniquement les utilisateurs par le biais des péages. Un système « utilisateur-payeur » bien plus juste que dans certains pays voisins, comme la Belgique par exemple, où les autoroutes donnent l’apparence de la gratuité parce qu’en réalité, tout le monde contribue par l’intermédiaire des impôts. Y compris ceux qui n’utilisent jamais l’autoroute ! Et pour un résultat dont les usagers ne se félicitent pas, c’est le moins qu’on puisse dire (5). En France, seuls les usagers des autoroutes paient : les usagers français évidemment, mais aussi les usagers étrangers empruntant le réseau.
 
Mais le vrai gagnant du système de gestion du réseau autoroutier par les sociétés concessionnaires est incontestablement l’État et ce, dans chacune des phases du contrat de concession. Déjà au départ, en 2006, lorsqu’il a encaissé 14,8 milliards d’euros au moment d’octroyer les concessions aux différentes SCA, ce fut « une bonne affaire pour l’État » selon Dominique de Villepin, qui était alors Premier Ministre (6). Une évaluation a minima, puisqu’elle ne comprend pas les 20 milliards de dettes publiques qui ont également été transférés aux opérateurs à ce moment-là (7). Ensuite, pendant toute la durée de la concession, l’État ne débourse pas un centime pour l’entretien et le développement du réseau autoroutier puisque tous les frais sont supportés par les SCA. Mieux, pendant toute cette période, les autoroutes lui rapportent de l’argent car, sur 10€ perçus aux péages, plus de 4€ lui reviennent en impôts et taxes, ce qui fait de lui le premier bénéficiaire des revenus du péage (8). Enfin, lorsque la concession arrivera à son terme, l’État récupèrera un réseau en parfait état et sans aucune dette.

Un système qui, tout compte fait, mériterait donc d’être érigé en modèle de bonne gouvernance !
 
Liens : https://www.ecologie.gouv.fr/societes-concessionnaires-dautoroutes-sca https://www.autoroutes.fr/FCKeditor/UserFiles/File/La%20verite%20sur%20les%20concessions%20autoroutieres_06_11.pdf https://www.capital.fr/entreprises-marches/laddition-tres-salee-du-coronavirus-pour-les-societes-autoroutieres-1373484 https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2020/07/2020-07-31-rapport-egc-def.pdf https://www.rtl.be/info/belgique/societe/le-reseau-routier-wallon-est-dans-un-etat-desastreux-il-faudrait-presque-rouler-avec-un-char-ou-un-4x4--754468.aspx https://www.20minutes.fr/politique/1458439-20141010-attaque-privatisation-autoroutes-dominique-villepin-defend https://www.revuepolitique.fr/autoroutes-aller-au-dela-des-fantasmes-revenons-aux-faits/ https://www.autoroutes.fr/FCKeditor/UserFiles/File/La%20concession/ASFA_IDEE_RECUE_NOV_2019.pdf    

François Lacombe