Vouloir définir l’humour, c’est prendre le risque d’en manquer
« Vouloir définir l’humour, c’est prendre le risque d’en manquer » nous dit justement Guy Bedos. Je prends le risque, en partant de l’idée que c’est toujours intéressant de connaitre la profondeur et la complexité des sujets pour mieux les maitriser.
La source de l’humour puise dans l’humorisme médical élaboré par Hippocrate de Cos (460-370 av JC). Selon lui, la melankholè (mélancolie) désigne un excès de bile noire et une forme de folie, dont le symptôme est le rire.
Il s’en suit des siècles où le rire (la notion d’humour n’existe pas encore) est considéré avec méfiance, particulièrement par le clergé catholique au Moyen Age.
Au XVIIème siècle, le théâtre Élisabéthain fait apparaître l’humour en Angleterre au sens de "lubie", "caprice", "fantaisie ». En France, c’est seulement en 1880 que le mot humour entre à l’Académie française avec la définition suivante : « Penchant à la plaisanterie, originalité facétieuse, à peu près dans le sens du mot anglais humour ».
Finalement, je propose de reprendre la définition de Fortin et Méthot (2004) :
« Le sens de l’humour est l’aptitude à percevoir, à créer, à exprimer (par des mots ou des gestes) des liens originaux entre des êtres, des situations ou des idées, liens qui font rire ou sourire celui à qui on les communique car il les comprend et les apprécie ».
L’humour : prendre de la distance pour créer de la proximité
Faire de l’humour, c’est être capable de prendre de la distance avec le sujet, tout en jouant sur la connivence qu’on a avec ses interlocuteurs. Ce qui fait dire à Desproges qu’ « on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui ».
Pour qu’il y ait humour, il faut :
- De la bienveillance, sinon, on parle d’ironie ou de satire …
- Du ludisme, car l’humour est un jeu, avec ses trois dimensions : le plaisir, des règles et des marges de liberté,
- De l’incongruité, qui est le véritable ressort de l’humour.
Pour illustrer tout cela, on peut reprendre la trait d’humour analysé par Freud en 1905 dans : « Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient »
Ce sont deux juifs qui se rencontrent devant des bains municipaux :
Le premier interroge : - Tu as pris un bain ?
A quoi, le second répond : - Pourquoi ? Est ce qu’il en manque un ?
On joue sur l’ambiguïté du mot « prendre » (dit « le disjoncteur »), qui désigne la possibilité de se tremper ou d’emporter un objet … La blague rapportée par un Juif (Freud) se moque aussi des clichés qu’ils subissaient sur leur honnêteté. L’humour, c’est ce léger décalage basé sur l’indispensable connivence (qui explique la difficulté de l’humour à l’épreuve de l’interculturel).
Les différentes catégories d’humour
Il y a l’humour sympathique qu’incarne à merveille Gad Elmaleh, l’humour caustique que pratiquent Voutch ou Guy Bedos, l’humour satirique avec Charlie Hebdo, ou encore l’humour absurde illustré par Le chat de Philippe Geluck.
En entreprise, on retrouve toute cette palette mise au service de différentes situations.
- L’humour de coalition quand, dans une réunion, une petite blague va fédérer les collaborateurs contre une décision qui n’emporte pas leur adhésion comme ce commercial qui clame un faux slogan publicitaire pour ridiculiser le lancement d’une nouvelle ligne de médicaments* : « et avec ALCIUS, tu l'as dans l'anus ! ».
- Le début d’un discours avec la pratique de l’autodérision comme savait le faire le maître des maîtres-ès-humour Winston Churchill : « Préparez-vous, je vais parler en français, une entreprise terrifiante et qui sera une dure épreuve pour votre amitié envers la Grande-Bretagne ».
- L’humour rituel de retrouvailles qui permet de réaffirmer les liens sociaux et de confirmer les interlocuteurs dans leur position de partenaires dans l'interaction à venir : « Hello, stupid hobbit joufflu !* ».
- L’humour qui permet de passer d’une position basse à une position haute en se moquant de soi : « Récemment j’ai répondu à un client qui me demandait agressivement si on faisait toujours du financement : on ne vous prête que si vous avez beaucoup d’argent ! Je joue de l’humour sur la caricature du banquier »*.
- Le désamorçage d'un conflit, grâce à l’humour la relation se renoue, certainement plus vite qu'elle n'aurait pu sans cela : Client mécontent : « Je souhaiterais plus d’exactitude ! » vendeur : « Comptez sur ma bravitude ! »*.
Trop d’humour peut tuer l’humour
Les risques relèvent essentiellement de dérapages. On peut citer des exemples comme le tweets de Natacha Polony : «Leonarda de retour en France pour la fashion¬week…», ou le film "Ridicule" de Lecomte qui montre comment on peut être adulé pour son humour puis rejeté pour avoir été trop loin. Patrick Timsit a ainsi été victime de ses plaisanteries mal acceptées sur les handicapés.
En entreprise, ces dérapages existent sous diverses formes. Citons des campagnes publicitaires qui ont connu des bad buzz comme le petit écureuil de la Caisse d’Epargne en fâcheuse position, ou les publicités Tefal qui mimaient les violences domestiques pour promouvoir des fers à repasser.
Il faut aussi rappeler que l’humour peut être qualifié de harcèlement, et que cela peut mener devant les tribunaux. Les « petites blagues » sur les collègues qui font tant rire peuvent finir très mal.
Attention aussi à l’humour lié au statut : on pense être drôle mais c’est un effet de cour qui se met en place, on rit trop fort pour faire plaisir au boss.
L’humour : un art de vivre
Malgré ces risques, faire de l’humour, faire rire, soulage grandement les tensions qui existent inévitablement en entreprise, avec les autres ou face à soi-même. On vous admire et on vous envie si vous savez manier cette compétence relationnelle plus rare qu’on ne le pense. Il faut oser l’humour, comme disait Hubbard : «Ne prenez pas la vie trop au sérieux, de toute façon, vous n’en sortirez pas vivant ».
Isabelle Barth, Professeur des Universités, Directrice de l’EM Strasbourg
Pour citer cet article : Barth, I., 2016, Osez l’humour au travail ! C’est bon pour le moral … et la performance !, 7 mai, RMS Magazine.