Depuis les trente dernières années, le globe économique a connu une forte avancée en matière de développement technologique et d’innovation. La globalisation des échanges et la libéralisation du système de commerce international ont rendu possible la libre circulation non seulement de marchandises, de capitaux ou d’individus mais aussi et surtout de technologies, d’idées et des flux du savoir. Une telle situation offre sans doute de véritables opportunités en termes de développement et de compétitivité, notamment aux pays africains soucieux de bâtir et d’entreprendre à leur tour des stratégies économiques permettant la transformation structurelle de leur économie. Dans cette optique, le passage par un système national d’innovation (SNI) efficace constitue une voie incontournable et l’importance du rôle de l’Etat n’est pas à démontrer. Ce rôle, sa nature et ses implications pour le cas africain, tels seront les points dont nous discuterons tout au long de cet article.
Les Système Nationaux d’Innovation en Europe entre efficacité et efficience
En effet, une revue sur les systèmes nationaux d’innovation les plus performants, en particulier ceux des Etats-Unis, du Royaume Uni, du Japon et de l’Allemagne, laisse suggérer que la performance de ces pays en matière d’innovation soit corrélée au caractère de leur système d’innovation soit entièrement libéral, soit entièrement coordonné (Hall, 2007). Un système libéral est celui dont l’Etat se contente de créer un marché d’innovation et laisse les acteurs (agences indépendantes, firmes, etc) s’y affronter. En agissant ainsi, le rôle de l’Etat se limite alors à encadrer et à stimuler le système en diffusant une culture d’innovation auprès des acteurs concernés et en créant des écosystèmes propices à l’innovation comme c’est le cas du Royaume-Unis (Loudière, 2013). Dans le second cas, l’Allemagne par exemple, le système est basé non pas sur la concurrence mais plutôt sur la coopération entre les différents acteurs publics et privés tout en attribuant à l’Etat le rôle de définir les programmes et les projets d’innovation qu’il estime prioritaires (Loudière, 2013).
Cependant, si les deux systèmes sont considérés performants selon le tableau de bord de l’Union de l’innovation (2014) et que l’écart entre l’Allemagne classée dans la catégorie « leaders » et le Royaume-Uni classé dans la catégorie « followers » reste très faible sur tous les indicateurs de l’innovation, la différence en termes d’efficacité et d’efficience semble être bien significative.
En effet, si l’on s’en tient aux dépenses intérieures brutes de R-D qui recouvrent l’ensemble des dépenses de R-D des organismes publics et privés (universités, instituts et labos de recherche, entreprises, etc), financées ou pas par des fonds étrangers et exécutées à l’intérieur d’un pays, le Royaume-Uni n’investit en R&D que 1.6% de son PIB (OCDE, 2015), un niveau jugé très largement en-dessous de la moyenne OCDE de 2.398%. Ainsi, ses dépenses de R-D sur les vingt dernières années se situent en moyenne entre 1.7% et 1.6% du PIB et dont près de deux tiers (60%) ne sont pas financés par l’Etat, mais des fonds étrangers, organismes privés, etc. En revanche, les dépenses intérieures brutes de R&D de l’Allemagne s’élèvent à près de 3% de son PIB et leur évolution sur les deux dernières décennies fait état d’un trend haussier.
A en juger donc de manière plus rigoureuse par des critères d’efficacité et d’efficience des deux pays, c’est-à-dire aussi bien en termes de résultats qu’en termes de moyens, il parait que le système britannique déploie moins de ressources et pourtant, en activant le levier de la concurrence, atteint le même niveau de performance que le système allemand misant sur la coopération. Dit autrement, un système libéral compétitif est plus efficient qu’un système coordonné coopératif. Cette efficience du système de concurrence est aussi avérée si l’on compare la France qui dépense plus que son voisin anglais mais qui gagne moins en performance que lui. Il est intéressant à ce titre de voir aussi le classement de ces pays suivant l’Indice Mondial de l’Innovation (The Global Innovation Index GII - 2014). Le Royaume-Uni y est classé 2e, l’Allemagne 13e et la France 22e.
Système libéral de concurrence et structure de marché
A l’issue de cette revue empirique sur quelques-uns des systèmes nationaux d’innovation en Europe, il semble qu’une liaison entre innovation et économie de marché puisse être établie. En effet, selon l’Indice Global de l’Innovation (2014) et le Tableau de Bord de l’Union de l’Innovation (TBUI-2014), les dix premiers pays faisant le mieux en matière d’innovation au monde sont : la Suisse (champion de l’innovation dans le TBUI), le Royaume-Uni (Suiveur dans le TBUI), le Suède (champions dans le TBUI), la Finlande (champion dans le TBUI), les Pays-Bas (Suiveur dans le TBUI), les Etats-Unis, le Singapour, le Danemark (Suiveur dans le TBUI), le Luxembourg (Suiveur dans le TBUI) et le Hong Kong. Et ce sont en fait les mêmes pays que l’on retrouve dans les catégories « libres » et « essentiellement libres » suivant l’Indice de Liberté Economique (The Wall Street Journal, The Heritage Foundation, 2015).
Cela suggère que l’innovation ait tendance à se développer dans les environnements économiques les plus libres et, globalement, dans le cadre de l’économie de marché, bien qu’il reste tout aussi fondamental de prouver cette corrélation économétriquement. Mais, l’explication la plus évidente reste celle que l’on tire de l’analyse de la structure du marché. En effet, le marché est un allocateur par excellence de ressources qui affecte celles-ci vers les emplois (projets, programmes, etc) les plus productifs. A la différence d’un système coordonné par l’Etat (bureaucrates, politiciens, groupes d’intérêts, etc), le système du marché libre ne peut jamais être tenté par des incitations individuelles, électorales, politiques, etc. perverses qui sont trop souvent à l’origine d’une mauvaise allocation des ressources, ce qui revient à dire que jamais l’Etat ne saura se substituer au marché dans l’allocation optimale des ressources.
Ainsi, dans les économies où les structures de marchés sont déformées en raison de monopoles, d’ententes ou de barrières à l’entrée par exemple, les incitations à l’innovation sont trop faibles vu que la possession d’un avantage concurrentiel par l’innovation ne permettra pas de contester ou de rivaliser les postions dominantes. En d’autres termes, l’incitation à l’innovation est d’autant plus faible que le jeu du marché libre est déjoué. Dans les économies de marché lire, il y a toujours incitation à l’innovation même avec un seul acteur (monopole naturel). Le libre accès au marché et donc la menace d’entrée d’un concurrent potentiel direct ou indirect (menace de substitution) suffit pour pousser l’entreprise à se comporter comme si elle était déjà en concurrence. De ce point de vue, un système compétitif d’innovation apportera à la fois performance et efficience et créera davantage d’incitations que tout autre système.
Quel système et quelle stratégie pour l’Afrique ?
L’analyse des systèmes d’innovation en Afrique à travers le concept de la chaine d’innovation permet d’identifier deux stades conjuguant les efforts des pays africains en matière d’innovation. On distingue, d’une part, les inputs du système et les stades en amont de la chaine comme les dépenses en R&D, financement & investissement, l’infrastructure de l’innovation, le cadre institutionnel, la recherche et le capital humain, etc. et, d’autre part, les outputs du système et les stades en aval qui traduisent les preuves manifestes de l’innovation (connaissances, technologies, inventions, etc). Appliquée à l’Afrique, on constate que les pays qui font le mieux en matière d’innovation selon le GII ont du mal malgré tout à transformer leurs ressources (dépenses R-D et inputs de l’innovation) en résultats tangibles (outputs) (Kherrazi, 2015).
En effet, une des explications possibles réside dans le fait que ces pays ont fait le choix de confier l’allocation de leurs ressources non pas au marché, puisqu’il n’existe pas, mais aux structures bureaucratiques comme en témoigne leur score de liberté économique. Si cela peut relativement bien marcher en Allemagne, c’est parce que son environnement institutionnel est bien assaini. En revanche, l’Afrique, elle, connait encore bon nombres de problèmes liés essentiellement à la gouvernance, à la défaillance du système institutionnel, à la transparence, à la corruption, etc. et donc à l’absence de marchés libres.
D’où l’impératif de créer un marché d’innovation et d’y mener une stratégie dynamique de concurrence. Dynamique, parce que l’Etat doit favoriser l’émergence d’écosystèmes d’innovation avec tout ce que cela requière en termes de système de droit, de transparence et de capital physique et institutionnel. De concurrence, parce que l’Etat doit veiller à ce que les structures du marché ne soit déformées et, si nécessaire, déléguer ce rôle à un nombre d’acteurs le plus « minimal » possible.
Les Système Nationaux d’Innovation en Europe entre efficacité et efficience
En effet, une revue sur les systèmes nationaux d’innovation les plus performants, en particulier ceux des Etats-Unis, du Royaume Uni, du Japon et de l’Allemagne, laisse suggérer que la performance de ces pays en matière d’innovation soit corrélée au caractère de leur système d’innovation soit entièrement libéral, soit entièrement coordonné (Hall, 2007). Un système libéral est celui dont l’Etat se contente de créer un marché d’innovation et laisse les acteurs (agences indépendantes, firmes, etc) s’y affronter. En agissant ainsi, le rôle de l’Etat se limite alors à encadrer et à stimuler le système en diffusant une culture d’innovation auprès des acteurs concernés et en créant des écosystèmes propices à l’innovation comme c’est le cas du Royaume-Unis (Loudière, 2013). Dans le second cas, l’Allemagne par exemple, le système est basé non pas sur la concurrence mais plutôt sur la coopération entre les différents acteurs publics et privés tout en attribuant à l’Etat le rôle de définir les programmes et les projets d’innovation qu’il estime prioritaires (Loudière, 2013).
Cependant, si les deux systèmes sont considérés performants selon le tableau de bord de l’Union de l’innovation (2014) et que l’écart entre l’Allemagne classée dans la catégorie « leaders » et le Royaume-Uni classé dans la catégorie « followers » reste très faible sur tous les indicateurs de l’innovation, la différence en termes d’efficacité et d’efficience semble être bien significative.
En effet, si l’on s’en tient aux dépenses intérieures brutes de R-D qui recouvrent l’ensemble des dépenses de R-D des organismes publics et privés (universités, instituts et labos de recherche, entreprises, etc), financées ou pas par des fonds étrangers et exécutées à l’intérieur d’un pays, le Royaume-Uni n’investit en R&D que 1.6% de son PIB (OCDE, 2015), un niveau jugé très largement en-dessous de la moyenne OCDE de 2.398%. Ainsi, ses dépenses de R-D sur les vingt dernières années se situent en moyenne entre 1.7% et 1.6% du PIB et dont près de deux tiers (60%) ne sont pas financés par l’Etat, mais des fonds étrangers, organismes privés, etc. En revanche, les dépenses intérieures brutes de R&D de l’Allemagne s’élèvent à près de 3% de son PIB et leur évolution sur les deux dernières décennies fait état d’un trend haussier.
A en juger donc de manière plus rigoureuse par des critères d’efficacité et d’efficience des deux pays, c’est-à-dire aussi bien en termes de résultats qu’en termes de moyens, il parait que le système britannique déploie moins de ressources et pourtant, en activant le levier de la concurrence, atteint le même niveau de performance que le système allemand misant sur la coopération. Dit autrement, un système libéral compétitif est plus efficient qu’un système coordonné coopératif. Cette efficience du système de concurrence est aussi avérée si l’on compare la France qui dépense plus que son voisin anglais mais qui gagne moins en performance que lui. Il est intéressant à ce titre de voir aussi le classement de ces pays suivant l’Indice Mondial de l’Innovation (The Global Innovation Index GII - 2014). Le Royaume-Uni y est classé 2e, l’Allemagne 13e et la France 22e.
Système libéral de concurrence et structure de marché
A l’issue de cette revue empirique sur quelques-uns des systèmes nationaux d’innovation en Europe, il semble qu’une liaison entre innovation et économie de marché puisse être établie. En effet, selon l’Indice Global de l’Innovation (2014) et le Tableau de Bord de l’Union de l’Innovation (TBUI-2014), les dix premiers pays faisant le mieux en matière d’innovation au monde sont : la Suisse (champion de l’innovation dans le TBUI), le Royaume-Uni (Suiveur dans le TBUI), le Suède (champions dans le TBUI), la Finlande (champion dans le TBUI), les Pays-Bas (Suiveur dans le TBUI), les Etats-Unis, le Singapour, le Danemark (Suiveur dans le TBUI), le Luxembourg (Suiveur dans le TBUI) et le Hong Kong. Et ce sont en fait les mêmes pays que l’on retrouve dans les catégories « libres » et « essentiellement libres » suivant l’Indice de Liberté Economique (The Wall Street Journal, The Heritage Foundation, 2015).
Cela suggère que l’innovation ait tendance à se développer dans les environnements économiques les plus libres et, globalement, dans le cadre de l’économie de marché, bien qu’il reste tout aussi fondamental de prouver cette corrélation économétriquement. Mais, l’explication la plus évidente reste celle que l’on tire de l’analyse de la structure du marché. En effet, le marché est un allocateur par excellence de ressources qui affecte celles-ci vers les emplois (projets, programmes, etc) les plus productifs. A la différence d’un système coordonné par l’Etat (bureaucrates, politiciens, groupes d’intérêts, etc), le système du marché libre ne peut jamais être tenté par des incitations individuelles, électorales, politiques, etc. perverses qui sont trop souvent à l’origine d’une mauvaise allocation des ressources, ce qui revient à dire que jamais l’Etat ne saura se substituer au marché dans l’allocation optimale des ressources.
Ainsi, dans les économies où les structures de marchés sont déformées en raison de monopoles, d’ententes ou de barrières à l’entrée par exemple, les incitations à l’innovation sont trop faibles vu que la possession d’un avantage concurrentiel par l’innovation ne permettra pas de contester ou de rivaliser les postions dominantes. En d’autres termes, l’incitation à l’innovation est d’autant plus faible que le jeu du marché libre est déjoué. Dans les économies de marché lire, il y a toujours incitation à l’innovation même avec un seul acteur (monopole naturel). Le libre accès au marché et donc la menace d’entrée d’un concurrent potentiel direct ou indirect (menace de substitution) suffit pour pousser l’entreprise à se comporter comme si elle était déjà en concurrence. De ce point de vue, un système compétitif d’innovation apportera à la fois performance et efficience et créera davantage d’incitations que tout autre système.
Quel système et quelle stratégie pour l’Afrique ?
L’analyse des systèmes d’innovation en Afrique à travers le concept de la chaine d’innovation permet d’identifier deux stades conjuguant les efforts des pays africains en matière d’innovation. On distingue, d’une part, les inputs du système et les stades en amont de la chaine comme les dépenses en R&D, financement & investissement, l’infrastructure de l’innovation, le cadre institutionnel, la recherche et le capital humain, etc. et, d’autre part, les outputs du système et les stades en aval qui traduisent les preuves manifestes de l’innovation (connaissances, technologies, inventions, etc). Appliquée à l’Afrique, on constate que les pays qui font le mieux en matière d’innovation selon le GII ont du mal malgré tout à transformer leurs ressources (dépenses R-D et inputs de l’innovation) en résultats tangibles (outputs) (Kherrazi, 2015).
En effet, une des explications possibles réside dans le fait que ces pays ont fait le choix de confier l’allocation de leurs ressources non pas au marché, puisqu’il n’existe pas, mais aux structures bureaucratiques comme en témoigne leur score de liberté économique. Si cela peut relativement bien marcher en Allemagne, c’est parce que son environnement institutionnel est bien assaini. En revanche, l’Afrique, elle, connait encore bon nombres de problèmes liés essentiellement à la gouvernance, à la défaillance du système institutionnel, à la transparence, à la corruption, etc. et donc à l’absence de marchés libres.
D’où l’impératif de créer un marché d’innovation et d’y mener une stratégie dynamique de concurrence. Dynamique, parce que l’Etat doit favoriser l’émergence d’écosystèmes d’innovation avec tout ce que cela requière en termes de système de droit, de transparence et de capital physique et institutionnel. De concurrence, parce que l’Etat doit veiller à ce que les structures du marché ne soit déformées et, si nécessaire, déléguer ce rôle à un nombre d’acteurs le plus « minimal » possible.
Soufiane KHERRAZI
Références :
- Base de données de www.globalinnovationindex.org (2014)
- Commission Européenne, 2014. Tableau de Bord de l’Union de l’Innovation, Entreprise et industrie, Synthèse.
- KHERRAZI, S., 2015, L’essor des Chaînes de Valeur Mondiales : l’impératif d’une stratégie duale pour l’Afrique, Revue de Management et de Stratégie, (3:2), pp.11-24, www.revue-rms.fr, VA Press.
- KHERRAZI, S., Système et marché de l’innovation : vers une stratégie dynamique et compétitive, Le Cercle Les Echos, le 13-04-2015
- LOUDIERE, A. (2013). “Quel rôle pour l’État dans le système d’innovation?“. Conjoncture, INSEE.
- OCDE (2015), Dépenses intérieures brutes de R-D (indicateur). doi: 10.1787/49ef953e-fr (Consulté le 01 avril 2015).