Lorsque le champion de tennis Roger Federer remporte l’Open d’Australie, et, du même coup, son 18e Grand Chelem, en janvier 2017, il réussit une prouesse extraordinaire. A 35 ans, il revient sur le circuit après une absence de six mois pour cause de blessure. Certes, les spécialistes savent qu’il a mis cette période à profit pour travailler intensivement et se reconstituer un physique à toute épreuve. Cependant, rares sont ceux qui s’attendent à un tel exploit. Le Suisse est retombé au 17e rang mondial et une nouvelle génération de virtuoses pointe le bout de sa raquette. Un come-back aussi fulgurant parait donc improbable.
Les victoires de Federer lors des premiers tours ne modifient pas cette perception, car ses adversaires semblent à sa portée. En revanche, tout change lorsqu’il remporte un ébouriffant huitième de finale, au terme d’un match en cinq sets contre le Japonais Kei Nishikori, tête de série numéro cinq. A l’issu de ce combat, après qu’un journaliste a souligné qu’il avait dorénavant l’assurance de tenir la distance sur cinq sets, il délivre ce commentaire éclairant : « Pour mon équipe, ça montre qu’on a fait du bon boulot. Gagner en cinq sets, c’est une victoire d’équipe. Tu apprends toujours beaucoup de ce genre de match, où tu as comme plusieurs vies. » Une réponse pertinente et riche d’enseignements sur la porosité de la frontière entre l’individuel et le collectif. Elle confirme une remarque faite, en d’autres circonstances, par l’Espagnol Rafael Nadal : « Je pense que j’en ai appris plus sur la vie ces dernières années que si j’étais allé à l’université. »
Les sports individuels le sont seulement en apparence
Ce que met en relief la réaction du maestro suisse, c’est la conscience de l’importance du collectif que possèdent les plus grands compétiteurs, y compris dans des sports d’apparence individuels. Ainsi, le judoka David Douillet affirme : « S’il y a une évidence à bien se mettre dans la tête pour devenir un champion (…), c’est qu’on ne réussit jamais seul. Regardez le judo. On pourrait croire que c’est un sport individuel. C’est faux. » Le tennisman serbe Novak Djokovic se place dans le même registre : « Les gens pensent que le tennis est un sport individuel, qu’il s’agit d’une personne qui affronte un adversaire de l’autre côté du filet. C’est là une interprétation littérale qui est erronée. Il s’agit de l’effort de toute une équipe. » Ces sportifs manifestent ici la perception d’une vérité cruciale dans la vie de l’entreprise, à savoir que seul, rien n’est possible durablement. Derrière les succès d’un individu, il y a nécessairement tout un réseau d’intelligence et d’efficacité qui les ont rendu possibles. La réussite individuelle s’étaye toujours sur un dispositif collectif, qui est parfois peu visible mais toujours essentiel (lire aussi l’article : « Les secrets des grandes équipes »).
Les passes opportunes au cœur du travail collaboratif
L’idée que la collaboration d’une pluralité de compétences est indispensable, a la force d’une évidence dans les sports d’équipe. Un attaquant au football ne pourra donner le meilleur de lui-même et marquer des buts que si ses coéquipiers lui fournissent des ballons de qualité. Les passes opportunes sont au cœur du travail collaboratif. En rugby, la complémentarité des aptitudes et des efforts est plus manifeste encore. Le Néo-Zélandais Chris Masoe souligne combien ce sens du partage se trouve au cœur du système éducatif de son pays : « Chacun va aider à atteindre l’objectif commun, avec ses qualités propres. Au-delà du rugby, on apprend ça à l’école, où les enfants font souvent du travail en groupe. Personne, absolument personne, n’est assez grand pour s’approprier un savoir sans le partager. » Un autre rugbyman, le Britannique Jonny Wilkinson, souligne la portée générale de cette attitude : « On n’est jamais tout seul. Même un golfeur n’est pas seul dans son exercice. Dans une entreprise, tu n’es pas seul. On pense parfois qu’on est seul au monde, mais on ne l’est jamais vraiment. Il y a toujours une interaction avec autrui. Plus vite on s’aperçoit de ça, plus vite on aura des résultats. »
Lorsque Roger Federer remporte l’Open d’Australie, il sait ce qu’il doit à tous ceux qui l’entourent : famille, entraîneur, préparateur physique, kiné, cordeur, sparring-partner, etc. Et il prend le temps de les remercier. Bien entendu, les métaphores sportives ne sont pas extrapolables à toutes les situations, et elles ne fournissent pas de recettes miracles. Cependant, elles sont fortement inspirantes. Le sport illustre de façon magistrale l’interpénétration entre ce qui est du ressort de l’individu et ce qui relève du groupe. Lorsqu’un pilote de F1 s’arrête à son stand, des dizaines de personnes s’agitent autour de sa voiture et chacun des gestes accomplis est indispensable à la victoire. Lorsqu’un sprinter remporte une étape du Tour de France, il le doit largement au travail de ses coéquipiers qui ont contrôlé les échappées et l’ont placé en bonne position dans les derniers kilomètres.
Dans l’entreprise, en général, les talents ne manquent pas. La grande difficulté est de les faire travailler ensemble, d’induire de la cohésion, de faire comprendre les bénéfices mutuels de la synergie. L’entraîneur de l’équipe de France de volley-ball Laurent Tillie projette parfois dans le vestiaire, avant une rencontre importante, le célèbre briefing d’Al Pacino dans « L’enfer du dimanche » [film d’Oliver Stone sur le football américain sorti en 1999, NDLR]. Il explique ainsi pourquoi : « Cette séquence permet de recentrer les joueurs sur le collectif. Il y a cette idée que chacun doit faire plus que son devoir, plus que ce qui est demandé, être solidaire, se surpasser pour les autres. Le résultat ne repose pas uniquement sur le fait que toi tu joues bien. L’enjeu est d’arriver à faire bien jouer ceux qui sont à côté de toi ».