Franck Telmon, Président du LaJaPF et de Daiichi Sankyo France (DR)
Quelles sont les spécificités du Japon en termes de santé de la population ?
Le Japon s’illustre comme l’un des pays les plus en avance dans le domaine de la santé. Deux indicateurs permettent d’attester de cette réalité : l’espérance de vie japonaise et la mortalité infantile. Avec un taux de mortalité infantile de 2,13 enfants pour 1000, le Japon se classe premier parmi les grands pays, seulement devancé par Singapour ou Monaco. Le Japon est également le pays où l’on vit le plus vieux, avec une espérance de vie moyenne de 84 ans. Ces excellents résultats sont naturellement à mettre au crédit d’un système de santé parmi les plus efficients du monde. Mais cela ne doit pas faire oublier que le Japon affronte simultanément deux problématiques : le vieillissement de la population et la nécessité de soins de long terme pour une part croissante de la population. Aujourd’hui 23 % de la population japonaise ont plus de 65 ans, contre 17 % en France par exemple. Le Japon doit donc faire face à ses obligations en termes de soins et de qualité du système de santé, sans pour autant accentuer la pression sur des finances publiques également soumises à de fortes contraintes.
Comment est organisé le système de santé japonais ?
Le système de santé japonais, au sens d’un système de prise en charge d’une partie des soins par redistribution, n’est pas récent. Il est même plus précoce que le système français puisqu’il date de 1922 ; il a ensuite été profondément modernisé en 1961. Ce système concerne tous les citoyens et prend la forme d’un système unique de sécurité sociale. Mais le système de santé repose aussi grandement sur des acteurs institutionnels privés et un système de complémentaires santé généralisées, car le taux de remboursement pour les médicaments est unique : 30 % pour les adultes quel que soit le produit concerné. Aussi, bien que les dépenses en médicaments par habitants soient quasiment similaires au Japon et en France, le coût du système de santé japonais par habitant est 20 % moindre au global.
Les caractéristiques principales du système de santé japonais reposent donc sur son mode de financement et son mode de gouvernance, avec une coopération très forte entre acteurs publics et privés et une culture du résultat et du service qui incite à l’excellence.
Les caractéristiques principales du système de santé japonais reposent donc sur son mode de financement et son mode de gouvernance, avec une coopération très forte entre acteurs publics et privés et une culture du résultat et du service qui incite à l’excellence.
A quoi peut-on mesurer la performance ou l’efficience du système japonais?
La performance peut se mesurer au rapport coût/efficacité : si la santé n’a pas de prix, nul n’ignore qu’elle a un coût, supporté pour partie par la communauté. On pourrait imaginer que pour parvenir à de tels résultats en termes d’espérance de vie et de mortalité infantile, le Japon consacre une part significative de sa richesse à la santé d’une population vieillissante. C’est effectivement le cas, mais dans des proportions bien moindres qu’on peut le supposer, et en tout cas bien moins qu’en France par exemple. Le Japon consacre ainsi, en 2011, 9.6 % de son PIB aux dépenses de santé, soit deux points de moins que la France, à 11,6 %. Le Japon est légèrement au-dessus de la moyenne de l’OCDE, établie la même année à 9,3 %. Pour résumer, le Japon parvient à faire mieux que la plupart des pays pour moins cher.
Néanmoins, il convient de noter que la part des dépenses de santé dans le PIB a tendance à augmenter : elle n’était que de 8 % en 2007. Cela résulte naturellement du vieillissement de la population, mais aussi d’une demande accrue des patients pour un accompagnement médical plus soutenu et des produits pharmaceutiques plus efficaces, nécessitant donc des recherches plus intensives.
Néanmoins, il convient de noter que la part des dépenses de santé dans le PIB a tendance à augmenter : elle n’était que de 8 % en 2007. Cela résulte naturellement du vieillissement de la population, mais aussi d’une demande accrue des patients pour un accompagnement médical plus soutenu et des produits pharmaceutiques plus efficaces, nécessitant donc des recherches plus intensives.
Le système japonais est-il comparable au système français ?
Sur le plan des moyens et des technologies, le système de santé japonais est très comparable à ce que nous connaissons en France, avec toutefois un nombre de médecins par habitant inférieur à la moyenne française, alors que le nombre de lits d’hôpitaux par habitant est quant à lui plus de deux fois supérieur. Cela signifie que le Japon est bien mieux doté en infrastructures de santé. Mais plus de la moitié de ces lits appartiennent à des cliniques privées et 70 % des hôpitaux japonais sont privés. Cela n’empêche pas le Japon de proposer des prestations de soins ambitieuses, comme la Long Term Care Insurance (LTCI), proposée aux personnes nécessitant des soins sur le long terme. Plutôt que d’envisager la sécurité sociale sous forme de remboursement de frais médicaux, le Japon préfère voir cela sous l’angle d’accès aux services de soins. Cela a entre autres pour conséquence de faciliter les soins à domicile. Mais cela est aussi possible au Japon compte tenu d’une forte culture de la prévention.
Une politique de prévention est-elle efficace et nécessaire ?
Il est ancré de longue date dans la culture japonaise et dans l’imaginaire collectif qu’un mode de vie sain permet de vivre plus longtemps en meilleure santé. Et rien ne permet d’affirmer que ces affirmations sont fausses, bien au contraire. 45 % des Japonais âgés de plus de 65 ans ont ainsi une activité physique régulière, contre 35 % en France. Les Japonais fument notamment nettement moins que les Français et ont globalement une hygiène de vie plus saine. Ils ont aussi la possibilité de faire réaliser un bilan de santé global, cofinancé par les entreprises et l’assurance santé. Cette possibilité de dépistage précoce de certaines pathologies, d’une durée pouvant aller jusqu’à deux jours complets, n’a pas d’équivalent en France, alors que tout le monde sait que des diagnostics tardifs vont nécessiter des plus soins plus lourds, plus longs et plus coûteux. En ce sens, la prévention est non seulement efficace mais indispensable. Elle est complémentaire des avancées scientifiques et technologiques, pour un coût bien plus abordable pour le système de santé dans son ensemble. Par exemple chez Daiichi Sankyo France, société que je préside, nous sommes très présents depuis 2003 aux côtés du Comité Français de Lutte contre l’Hypertension. Nous soutenons l’édition de documents de sensibilisation à l’hypertension artérielle au profit du grand public et collaborons à la réalisation d’enquêtes sur l’épidémiologie et la prise en charge de l’hypertension en France.
Pensez-vous que le Japon puisse s’inspirer de pratiques françaises à l’inverse ?
Malgré des progrès toujours possibles, il va de soi que la France n’a pas à rougir de la qualité de son système de santé, envié par nombre de pays dans le monde, y compris parmi les plus avancés. Parmi les points sur lesquels la France peut se vanter d’être en avance, on notera la possibilité de recourir, dans des cas très spécifiques et encadrés, à certains médicaments avant même que ne soit délivrée l’Autorisation de Mise sur le Marché. La France est également en pointe en matière de dialogue entre les industriels du secteur pharmaceutique et les décideurs publics : depuis plus d’une décennie et la création en 2004 du Conseil Stratégique des Industries de Santé, l’Etat et les industriels ont entamé un dialogue construit sur le long terme. Cette instance permet de faire valoir les vues de chacun et de concilier les approches, en termes de politiques de santé d’un côté, et d’ambitions et contraintes de Recherche et Développement de l’autre. Enfin la France est un pays richement doté en infrastructures de recherches et reste un pays en pointe dans le domaine de la santé.