Au XVIe siècle déjà, Leibniz considère le jeu comme l’un des lieux où s’exprime librement l’intelligence humaine. Il suggère d’ailleurs l’étude approfondie des jeux parce que l’activité ludique peut nous offrir des enseignements précieux pour perfectionner l’art d’inventer. Par la vitalité qu’il instille dans la vie économique, l’entrepreneur est un inventeur. Il a réussi sa transformation dans la culture populaire bien aidé par Zuckerberg, Jobs et consorts. L’entrepreneur est d’ailleurs l’un des métiers préférés des Français.
Cet aventurier a de nombreux points communs avec le joueur de poker avec qui il cultive des aptitudes similaires.
La valeur de l’information
Le poker est un jeu qui vise la complétude progressive d’une information à l’origine incomplète en vue de prendre des décisions pertinentes. Le joueur ne connaît que ses cartes et cherche à identifier progressivement celles de ses concurrents. Pour cela il s’appuie sur la collecte systématique de signaux, dont certains faibles, comme des mouvements physiques, dénommés « tells » ou des fréquences et montant de mises. Nous reviendrons ultérieurement sur cette notion de fréquences et de statistiques.
Le joueur de poker doit faire face régulièrement à des tentatives de désinformation, nécessitant la capacité de distinguer les informations sincères des pièges placés par ses adversaires. Le joueur peut lui-même envoyer de faux messages (fakes) pour brouiller les pistes de ses adversaires, tels un sourire, une posture ou un mouvement de bouche.
La table de poker se caractérise par la construction progressive d’une asymétrie informationnelle entre les joueurs. L’information parfaitement distribuée en début de partie devient progressivement imparfaite. Son coût d’accès est d’autant plus faible que les compétences et l’expérience du joueur sont élevées. La question récurrente qui se pose est « faut-il payer pour voir ou faut-il tenter d’obtenir l’information avant de payer ? ». Le temps, d’abord un allié, peut progressivement devenir un adversaire !
La partie, puis les parties successives, confrontent les acteurs à un phénomène d’apprentissage associé aux transactions d’informations qui permettent d’affiner des anticipations de plus en plus pertinentes. Le joueur s’inscrit dans un cadre d’anticipations adaptatives qui conduisent à la prise de décision tout en contrôlant sa communication (théorie du signal).
Le parallèle est évident avec le monde de l’entrepreneur !
En effet lorsqu’il lance son projet, notre entrepreneur aventurier évolue aussi dans un monde d’information imparfaite. Il sait ce qu’il fait, contrôle sa vision stratégique mais n’appréhende que la face visible des actions de ses concurrents. Il doit chercher à anticiper les stratégies des autres acteurs, y compris en intégrant le risque d’un changement de comportement de l’un d’entre eux (risque d’aléa moral), mais aussi les évolutions tendancielles du marché par la détection des signaux faibles. Cela passe notamment par la mise en place d’un processus de veille.
Entreprendre c’est accomplir un projet. À son début, l’entrepreneur dispose d’une liberté totale mais d’une information limitée puis, au fur et à mesure qu’il progresse dans son projet, alors que le niveau d’information augmente, son degré de liberté se contracte. C’est le paradoxe du projet.
La table de poker comme le marché sur lequel évolue l’entrepreneur sont des lieux de confrontation d’agents qui cherchent à maximiser leur profit. Pour y parvenir, le joueur doit disposer d’une information suffisante sur le jeu de ses adversaires. Or celle-ci est d’abord réduite et donc le potentiel et la variété des actions de jeu importants. Plus le joueur avance dans la partie, plus il collecte des données et plus les options de jeu se restreignent progressivement à une stratégie optimale.
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Article publié par François Nicolle (Assistant enseignant-chercheur ICD Paris) et Jean-Michel Nicolle (Directeur général EPF École d'Ingenieurs).