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Revue de Management et de Stratégie
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Quatre questions à Yves Laisné : la Transmission Universelle de Patrimoine transfrontalière, un outil de résilience économique




La Rédaction


Yves Laisné est titulaire d’un doctorat en droit et il est l’auteur de diverses publications. Il est considéré comme l’expert français de la Transmission Universelle de Patrimoine Transfrontalière (TUP Trans). Il y a d’ailleurs consacré son dernier ouvrage paru aux éditions EFE. Yves Laisné dans ce long entretien nous fait partager son expérience et son expertise. Il nous montre qu’en particulier, les TUP Trans peuvent permettre à certaines entreprises en difficulté de traverser une période difficile. La plupart du temps, ces sociétés sont contraintes d’emprunter un chemin juridique et réglementaire long et fastidieux, avec souvent pour seul résultat des difficultés plus grandes encore et au final la liquidation judiciaire. Sauf à connaitre un outil juridique encore bien peu utilisé, et dont les effets ont déjà évité à nombre d’entreprises la disparition : la dissolution-confusion transfrontalière, aussi parfois appelée Transmission universelle de patrimoine transfrontalière.



Pouvez-vous expliquer en quelques mots ce qu’est la transmission universelle de patrimoine transfrontalière, ou « TUPTRANS » ?

Yves Laisné : La TUPTRANS est une procédure juridique spécifique de cession d’entreprises dont nous nous sommes fait une spécialité. Notre innovation repose sur une application des textes qui n’avait pas été initialement prévue : dans l’espace européen, et dans le cas plus général de la liberté d’investissement qui existe dans le monde entier (article 1 du Code monétaire et financier), la société-mère peut être pratiquement de n’importe quelle nationalité. Du coup, comme la procédure s’applique sans discrimination, surtout à l’intérieur de l’espace européen, n’importe quelle société peut dissoudre-confondre une filiale de droit français dont elle a le contrôle ou dont elle aurait pris le contrôle. La dissolution–confusion (DC) peut ainsi être le fait d’une société mère depuis longtemps, ou le fait d’une société qui vient seulement d’acquérir 100 % de la confondue. Ce dernier cas, lorsque la mère vient d’acheter la filiale et la confond tout de suite, que nous appelons « défaisance », constitue le cas le plus « disputé ». Lorsqu’il s’agit d’une cession d’entreprises, nous pouvons nous situer aussi bien au niveau de l’acheteur qu’un niveau du vendeur, mais nous ne pouvons pas occuper les deux positions à la fois.
 
En résumé, une société mère qui a 100 % du capital de sa société fille peut absorber sa fille par une procédure appelée dissolution–confusion, et ainsi la dissoudre et la confondre en son sein. Cela entraine la disparition de la personnalité morale de la confondue et la TUP vers la confondante. La confondue transmet l’ensemble de son patrimoine (actif et passif) et disparait. La DC est l’opération qui conduit à ces deux effets. La TUP n’est qu’un des deux effets de la DC,  ces effets étant par ailleurs définitifs et obtenus rapidement. 

Pourquoi recourir à cette procédure spécifiquement ?

Yves Laisné : Le problème des entreprises est le suivant. Nous avons démarré ces activités en 2005. Assez rapidement, nous nous sommes retrouvés avec des entreprises en difficultés de trésorerie, difficultés qui tiennent le plus souvent à l’absence de fonds propres. Beaucoup d’entreprises, en particulier parmi les PME, fonctionnent en majeure partie grâce au crédit bancaire. Connaissant l’aversion des banquiers pour la moindre prise de risques, les entreprises peuvent rapidement tomber en difficultés pour peu de choses. Si parfois les difficultés sont structurelles, elles peuvent être aussi purement conjoncturelles, liées à un impayé client, un retard de paiement (y compris de la part de l’Etat), ou à beaucoup d’autres choses. La plupart des entreprises ayant un résultat à peine excédentaire, elles basculent vite dans les difficultés.
 
Dans cette situation, la plupart des entreprises réagissent en cessant de payer l’URSSAF et la TVA, qui sont de très gros postes de dépenses, particulièrement dans les entreprises de main d’œuvre. Ces entreprises négocient ensuite en payant une partie, en payant le précompte, la part patronale… Mais la dette augmente inexorablement, et quand les patrons d’entreprises en difficultés viennent nous voir, en général, il y a une importante dette URSSAF ou TVA. Les dispositions relatives à la dissolution-confusion ne résolvent pas la question naturellement, car la société étrangère qui a absorbé la confondue reste redevable des dettes auprès de la France. Mais elle va avoir plus de temps pour s’acquitter de sa dette.

Quelles sont ensuite les actions possibles des institutions de recouvrement ?

L’URSSAF et le Fisc disposent de tous les moyens juridiques pour poursuivre la société étrangère. En droit, le fait qu’une société allemande ou belge, pour prendre les cas les plus fréquents, deviennent débitrices des créanciers français, ne change absolument rien. La construction européenne va naturellement dans ce sens et plusieurs arrêts de la Cour de justice européenne valident les transferts de sièges à l’intérieur de l’Europe ou la complète liberté de circulation des entreprises, des capitaux et des hommes à l’intérieur de l’espace communautaire. Les traités à l’origine de ces dispositions ont d’ailleurs une valeur juridique supérieure aux droits internes. Toutes les dispositions relatives à la DC  et aux TUPTRANS sont donc parfaitement légales et régulières. Mais le recouvrement prend plus de temps et cela laisse le temps à l’entreprise de reprendre son souffle.

Des évolutions législatives sont-elles à craindre (ou à espérer) ?

Bercy fait preuve de beaucoup de réalisme sur cette question. Bercy a intégré d’une certaine manière le fait que si certaines entreprises arrivaient à se tirer de passes délicates, et parfois de la faillite, grâce au système que nous proposons, ce n’était pas forcément mauvais pour l’emploi : la DC est ici bien perçu comme un outil de résilience économique. Bercy est parfaitement conscient qu’en cas de faillite, les institutions de recouvrement et les créanciers ne récupèreront pas grand-chose de toute façon : en cas de liquidation judiciaire, ce qui reste pour les créanciers est généralement consommé par la procédure. Bercy comprend donc que notre procédure, pour atypique qu’elle soit, permet souvent le sauvetage d’entreprises, ce qui, fondamentalement, ne va pas contre l’intérêt public.

Les administrateurs de Bercy sont également conscients du fait qu’en France, l’échec entrepreneurial est stigmatisant, contrairement aux Etats-Unis, où l’échec est considéré comme une réalité inhérente à l’entreprise : l’entrepreneur prend des risques et il peut donc échouer. En France, celui qui a fait faillite est un paria ; il est exclu. La faillite est réservée aux marginaux. C’est la raison pour laquelle en France, alors que certains considèrent, à tort, le redressement judiciaire comme un acte de simple gestion, l’entrepreneur est fortement pénalisé en cas de faillite.
 
Il y a des évolutions récentes qui vont dans le bon sens, après des années de marasme, comme la suppression du 040 Banque de France. Il s’agissait d’un fichier de la banque de France recensant tous les entrepreneurs ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire, dossier très attentivement consulté par les banques commerciales à l’époque. La seule présence sur ce fichier signifiait la mort économique, car il devenait impossible de réaliser le moindre emprunt et même d’ouvrir un compte en banque ! Sachant qu’en France, on ne peut pas travailler sans banque, cela constituait une sérieuse entrave à l’entreprenariat. Ce système a heureusement pour partie disparu. Le gouvernement Ayrault a pris conscience du problème et pris un décret pour supprimer le 040. Cela laisse entrevoir une relative compréhension de l’administration, consciente des entraves qui peuvent exister pour les entrepreneurs.
(Public Domain)
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